Les époux O. font construire une maison, vite fissurée en raison d’un terrain victime de la sécheresse. Ils demandent réparation de leur préjudice sur 3 niveaux :

  1. Le coût des travaux de reprise.
  2. Le préjudice de jouissance.
  3. La décote du bien immobilier.

Dans l’arrêt du 21 janvier 2020 de la Cour d’appel de REIMS (18/018341), La Cour ne discute pas le coût des reprises, chiffrées par un expert et reprend les conclusions du tribunal. Le débat porte par contre sur l’évaluation du préjudice de jouissance et la décote du bien immobilier.

1/ Le préjudice de jouissance.

Les époux O. demandent la reconnaissance d’un préjudice de jouissance avant travaux. Ils estiment que du fait des travaux à prévoir, ils n’ont pas pu profiter de la maison sereinement. Dans leur esprit, leur maison a une valeur locative normale de 1 300€ par mois. Vu les fissures et travaux à prévoir, il n’aurait été possible que de la louer 700€ par mois. Ils concluent donc à un préjudice de 600€ pour chaque mois passé à attendre les travaux.

Problème : « Les époux O… n’expliquent pas comment ils parviennent à estimer à 1.300 euros et 700 euros la valeur locative de leur maison. Ils ne produisent pas non plus d’estimations, émanant d’un notaire ou de plusieurs agences immobilières, de la valeur vénale qu’aurait leur maison en l’absence de désordres.« 

La Cour envoie un message : pas de préjudice sans preuve. Le juge tranche à partir des éléments fournis et de leur caractère plus ou moins certain. Il ne se fie pas aux seuls avis ou opinion des parties (et il fait bien).

Notez la hiérarchie dans l’évaluation : « UN » notaire ou « PLUSIEURS AGENCES » peuvent attester de la valeur d’un bien. Pour le coût des travaux de reprise, un expert avait proposé son rapport. Pour le préjudice de jouissance, ils arrivent les mains vides. Peut-être était-ce aussi le rôle de leur avocat d’y penser ?

Le juge tente de comprendre quand même la logique des époux O. derrière leurs prétentions. Se disent-ils qu’avec les 293 356 euros TTC de travaux de reprise accordés, le loyer serait presque double ? Ce serait méconnaitre que  « la valeur, qui dépend des prestations du bien et du marché local, n’est pas mathématique et ne peut être égale au coût de la construction de la maison ajouté à l’ensemble des travaux et frais entrepris après pour son embellissement« .

Ce point fondamental se retrouve au coeur de nombreux dossiers d’expertise. M. X achète sa maison 100 000€. Il y fait 100 000€ de travaux. Il n’est absolument pas certain qu’il puisse la revendre 200 000€. Tout dépendra du marché immobilier au moment de la mise en vente de son bien.

Au final, le juge convient d’une allocation d’une somme de 10 000€ de dommages et intérêts, qui répare  » la crainte de vivre dans ce pavillon sinistré » comme les époux O. n’ont jamais cessé d’occuper les lieux.

En l’absence de rapport d’expertise, cette allocation semble juste. Mais elle vise à réparer un trouble s’étalant sur une période de 6 ans, soit 1 667€/an ou 139€/mois pour une maison où apparemment « les plafonds laissant entrevoir les ferraillages des combles et le flocage de l’isolation, ce qui n’est pas sans conséquence sur la consommation de chauffage. » J’ai l’impression qu’il aurait été possible de rentabiliser les services d’un expert…

2/ La décote du bien immobilier.

Est-ce que le mauvais historique d’un bien entraine automatiquement une moins-value à la revente ?

Les époux O. estiment qu’en cas de revente de leur bien, un prospect informé de leurs déboires ne proposerait que 160 000€ au lieu de 220 000€ environ, soit une décote de 60 000€ par rapport à un bien équivalent sans antécédents.

Ils se basent sur les 2 évaluations d’une agence immobilière :

  • L’une en 2015 (210 000 – 230 000€) qui affirme tenir compte des « antécédents du bien malgré l’éventuelle réfection du bâtiment générant une trop grande suspicion de récidive« .
  • L’autre en 2018 (160 000 – 180 000€) qui prétend que « la maison est dangereuse à cause des désordres engendrés par de sévères malfaçons, qu’aucun client, même après réparation, ne se porterait acquéreur, si ce n’est à coût dérisoire, et que les méthodes utilisées habituellement pour les estimations ne peuvent être fiables compte tenu de la rare spécificité du bien. Il est important de noter qu’ayant connaissance des vices, même réparés, en tant qu’agent immobilier, titulaire d’une carte professionnelle, je ne prendrai pas ce bien à la vente.« 

Leurs 4 contradicteurs nient tous à tour de rôle cette prétendue décote. La Cour leur donne raison ! Leur prétention n’est étayée par aucune preuve ou expertise.

Ce n’est pas nouveau, l’avis isolé d’une agence immobilière a peu de valeur devant un tribunal. La plupart des agences indiquent d’ailleurs clairement sur leur courrier d’évaluation que celle-ci ne saurait les engager juridiquement. Elles ne sont pas assurées pour cela, ce n’est pas le coeur de leur métier.

Affirmer qu’il y a un risque de récidive, cela revient « à mettre en cause la compétence de tous les professionnels du bâtiment, y compris de l’expert judiciaire » considère la Cour. Le juge tient donc compte de la qualité et de la quantité des avis reçus.

« En conséquence, le préjudice invoqué au titre de la décote du bien immeuble, ne reposant sur aucun élément objectif, apparaît mal fondé et déraisonnable. Seul un préjudice certain est indemnisable. »

Si la solution est satisfaisante d’un point de vue juridique, je serai moins catégorique sur le fait que les antécédents de ce bien et sa reconstuction ne justifient aucune décote.

Je suis le premier à me baser sur les éléments matériels, les données chiffrées qui permettent de déterminer un prix de marché raisonnable pour un bien immobilier. Pour autant, dans 20% des cas peut-être la décision d’acquérir un bien plutôt qu’un autre se fondera sur des critères « de convenance », parfois irrationnels.

Dans ce cas précis, je pense que 80% des prospects passeront sur les antécédents du bien, contents de profiter d’une garantie décennale, alors que 20% regarderont un autre bien, de peur de ne plus dormir sur leurs deux oreilles.

La question est : faut-il en informer les prospects ?

Le vendeur, et particulièrement le professionnel de l’immobilier, a une obligation d’information exhaustive du prospect. Il doit lui faire part de tous les éléments qui pourraient influencer son consentement, c’est-à-dire presque tout en pratique, même si certains sont subjectifs.

La position de la Cour est donc peut-être un peu trop ferme en l’espèce mais celle de l’agent immobilier est encore moins tenable lorsqu’il affirmait : « aucun client ne se porterait acquéreur si ce n’est à un coût dérisoire« .

La question mériterait davantage de recherches : comment évaluer une potentielle décote subjective comme une ancienne malfaçon, un crime ou comme il en est amené à se développer des éoliennes ou une antenne 5G ?

Il faudrait par exemple identifier des biens concernés et étudier leur revente par rapport à leur prix d’acquisition, en comparant avec les biens du même secteur non concernés par ce phénomène « subjectif ». Bonne chance pour les premiers cas de 5G !