Lorsque vous demandez une somme en justice, il faut nécessairement la justifier.
Si vous le faites correctement, à l’aide d’un rapport d’expertise ou d’un devis par exemple, votre argumentation sera grandement renforcée.
Il reviendra dès lors à l’autre partie d’apporter la preuve d’un montant différent concernant votre litige.
Il est courant dans les rapports d’expertise de voir des abattements proposés en raison de l’état d’un bien (vétusté, travaux à prévoir…). Ce n’est pas une bonne pratique dès lorsqu’il est possible de les chiffrer réellement par des sociétés.
L’arrêt de la Cour d’appel de Paris du 8 septembre 2022 (21/130177) m’interpelle car il va (un peu) à l’encontre de l’usage constaté et même à l’encontre de l’avis du commissaire du Gouvernement sur cette affaire.
1/ Une évaluation des domaines battue en brèche par l’expertise
Dans cet arrêt, suite à une DIA au prix de 1 400 000€, une ville souhaite préempter le terrain d’une SCI au prix de 476 880€.
La SCI refuse.
La ville saisit alors le juge de l’expropriation pour fixer la valeur. Les Domaines évaluent alors le bien à 180 000€… avant que le juge fixe le prix du bien à 1 144 512€ en 1ère instance, après expertise.
Cela pose grandement question sur la méthode d’évaluation des Domaines.
2/ Retenir un abattement pour des travaux chiffrables ?
La ville fait appel de ce prix d’acquisition et demande un abattement de 22% pour le coût de désencombrement et de dépollution :
Le commissaire du Gouvernement constate très justement que :
La ville justifie l’absence de chiffrage par l’absence d’accès au site. Je suis perplexe car un audit de pollution a tout de même pu être réalisé. Il était donc sans doute possible d’estimer les coûts de dépollution également.
3/ La Cour à la recherche d’une solution intermédiaire.
La cour rend une décision plus favorable à la ville en retenant un prix de 951 048€.
Il semble qu’aucune partie ne conteste de frais de démolition à hauteur de 50 400€. Cette déduction est donc logique.
Par contre, elle accorde un abattement pour pollution de 10%. La pollution est constatée par un audit mais cet audit recommande justement un chiffrage des coûts de dépollution !
C’est là où la décision manque à mon avis de cohérence. Elle recherche d’un côté un chiffrage clair des frais de démolition ; de l’autre, elle se contente d’un pourcentage, toujours discutable, pour la dépollution du site.
Il s’agit sans doute pour le juge d’essayer de conclure cette affaire en proposant un montant forfaitaire crédible, ici 143 064€.
Pour protéger ses intérêts, la SCI aurait pu faire évaluer précisément les coûts de dépollution. L’absence d’évaluation précise finit toujours par nuire à l’une des parties.