L’affaire concerne un litige entre Mme [D] et ses voisins, propriétaires de deux maisons nouvellement construites dans un lotissement en limite de sa propriété. Mme [D] se plaint de la perte de vue, de la création de vues sur son fonds et de la dépréciation de son bien, invoquant un trouble anormal de voisinage.

1. Décision de la Cour de cassation

La Cour de cassation rejette le pourvoi formé par Mme [D] contre l’arrêt de la cour d’appel d’Aix-en-Provence du 13 janvier 2022. Cette décision s’appuie sur plusieurs éléments clés.

2. Justifications de la décision

2.1. Absence d’anormalité du trouble lié à la perte de vue

La Cour valide le raisonnement de la cour d’appel qui a considéré que la perte de vue ne constituait pas un trouble anormal. Elle justifie cette position par :

  • Le contexte urbain : la propriété est située dans une zone urbanisée, à proximité d’une voie de déviation routière.
  • L’évolution prévisible de l’urbanisme : la commune est en pleine expansion et vouée à s’urbaniser.
  • L’absence de droit à la vue protégé dans un tel environnement.

2.2. Appréciation de la perte d’intimité

La Cour approuve l’analyse de la cour d’appel concernant la perte d’intimité pour deux raisons :

  • Absence de précisions suffisantes : la distance entre les pièces à vivre et la limite des fonds n’est pas clairement établie.
  • Mesures d’atténuation : la plantation de végétaux le long de la clôture a permis de remédier en partie à la perte d’intimité dans le jardin et autour de la piscine.

2.3. Impact de la modification du plan local d’urbanisme

La Cour souligne que les troubles allégués résultent principalement de la modification du plan local d’urbanisme. Elle considère que cette évolution réglementaire ne peut être imputée aux propriétaires des nouvelles constructions.

2.4. Pouvoir souverain d’appréciation des juges du fond

La Cour réaffirme le principe selon lequel les juges du fond ont un pouvoir souverain pour apprécier l’existence et l’anormalité d’un trouble de voisinage. Elle refuse ainsi de remettre en cause leur appréciation des faits et des preuves.

3. Implications pour les experts en estimation immobilière

3.1. Prise en compte du contexte urbain

Les experts doivent intégrer dans leurs analyses le contexte urbain et les évolutions prévisibles de l’urbanisme, qui peuvent justifier certaines modifications de l’environnement.

3.2. Importance de la caractérisation précise des troubles

L’arrêt souligne la nécessité de caractériser précisément les troubles allégués, notamment en termes de distances et d’impact concret sur la propriété.

3.3. Considération des mesures d’atténuation

Les experts doivent prendre en compte les mesures prises pour atténuer les troubles (comme la plantation de végétaux) dans leur évaluation de l’anormalité du trouble.

3.4. Limite de la notion de perte de vue

La décision rappelle que le droit à la vue n’est pas protégé en tant que tel en milieu urbain, ce qui doit être intégré dans les estimations de valeur des biens.

4. Conclusion

Cet arrêt de la Cour de cassation apporte des éclaircissements importants sur les critères d’appréciation des troubles anormaux de voisinage en milieu urbain. Il met en évidence l’importance du contexte urbain, de l’évolution prévisible de l’urbanisme, et de la caractérisation objective des troubles dans l’évaluation de leur anormalité. Pour les experts immobiliers, cette décision souligne la nécessité d’une analyse approfondie de l’environnement urbain et réglementaire dans leurs évaluations, ainsi que l’importance de quantifier précisément les impacts allégués sur la valeur et l’usage des biens.

Cour de cassation, civile, Chambre civile 3, 9 novembre 2023, 22-15.403 : https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000048465441